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Lucie
Badoud, modèle et muse des artistes parisiens de l'entre-deux-guerres,
est plus connue sous le nom de Youki - Rose des neiges. Elle a d'abord
été mariée en 1924 au peintre japonais Foujita (sur la photo), avant
de rencontrer Robert Desnos qu'elle accepte en secondes noces en 1931.

Mobilisé en 1939, Desnos fait la drôle de guerre convaincu
de la légitimité du combat contre le nazisme. Il ne se laisse abattre
ni par la défaite de juin 1940, ni par l'occupation de Paris, où il
vit avec Youki. Pour lui, la lutte est désormais clandestine : il entre
dans différents groupes de résistants.
Le 22 février 1944,
un coup de téléphone d'une amie bien placée l'avertit de l'arrivée
imminente de la Gestapo, mais Desnos refuse de fuir de crainte qu'on emmène
Youki. Interrogé rue
des Saussaies, il finit à la prison de Fresnes. Il y reste du 22 février au 20 mars. Après d'incroyables
recherches, Youki retrouve sa trace et parvient à lui faire porter des
colis.
Le 20 mars, il est transféré à Compiègne où il trouve
la force d'organiser des conférences et des séances de poésie (il y
écrit Sol de Compiègne). De son côté, Youki multiplie les démarches
dans de nombreux services de la police allemande et obtient que le nom
de Desnos soit rayé de la liste des transports. Mais, le 27 avril, le
poète fait partie d'un convoi de 1 700 hommes dont la
destination est Buchenwald.
Il y arrive le 12 mai et repart deux
jours plus tard pour Flossenbürg : le convoi, cette fois, ne
compte qu'un millier d'hommes. Les 2 et 3 juin, un groupe de 85 hommes, dont Desnos, est acheminé vers le camp de Flöha,
en Saxe où se trouve une usine de textile reconvertie en
usine pour carlingues d'avions. De ce camp, Desnos écrit de nombreuses
lettres à Youki qui, toutes, témoignent de son ardente énergie comme
de son désir de vivre.
Le 14 avril 1945 sous la pression des armées
alliées, le kommando de Flöha est évacué. Le 15 avril, un
groupe de 57 hommes du commando est fusillé, Desnos n'en fait pas
partie. Vers la fin du mois d'avril
la colonne est scindée en deux groupes : les plus épuisés - dont
Desnos - sont acheminés jusqu'au camp de concentration de
Theresienstadt, à Terezin (Bohème-Moravie).
À Theresienstadt, les survivants sont soit abandonnés dans les
casemates et les cellules de fortune, soit expédiés au Revier,
l'infirmerie. Desnos est de ceux-là. Les poux pullulent, le typhus fait
rage. Le 3 mai 1945, les SS prennent la fuite ; le 8
mai, l'Armée rouge et les partisans tchèques pénètrent dans le
camp. Les libérateurs traînent avec eux quelques médecins et
infirmiers afin de sauver qui peut l'être encore. Sur une paillasse, vêtu
de l'habit rayé de déporté, tremblant de fièvre, Desnos n'est plus
qu'un matricule.
Un étudiant tchèque, Joseph Stuna, est affecté par hasard à la
baraque n°1. En consultant la liste des malades, il lit : Robert
Desnos, né en 1900, nationalité française. Stuna sait très bien
qui est ce Desnos. Il connaît l'aventure surréaliste ; il a lu
Breton, Éluard… Au lever du jour, l'étudiant se met à la recherche
du poète au milieu de 240 squelettes vivants et le trouve. Il a
juste la force de répondre : "Desnos le poète ? Oui c'est
moi."

Appelant
à l'aide l'infirmière Aléna Tesarova, qui parle mieux le français
que lui, Stuna veille et tente de soigner le moribond pendant plusieurs
semaines. Mais le poète finit par tomber dans le coma. Au bout de
3 jours, le 8 juin 1945, à cinq heures du matin, Robert Desnos
meurt.
Le gouvernement français enverra Louis Aragon à Terezin
chercher ses cendres. Joseph Stuna lui confiera l'urne funéraire, les
lunettes du poète et une feuille de papier pliée en huit que Robert
gardait précieusement dans sa poche, son dernier poème pour Youki :
J'ai rêvé tellement
fort de toi
J'ai tellement marché, tellement parlé
Tellement aimé ton ombre
Qu'il ne me reste plus rien de toi
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres
D'être cent fois plus ombre que l'ombre
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée.
Robert - 1945

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