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Zbigniew
Libera est
un artiste polonais né en 1959. Au
cours de la période communiste, il purge une peine de
prison pour avoir dessiner des caricatures du régime jugées
pornographiques. Depuis
la fin de la guerre froide, il s’intéresse à la société
de consommation et son impact sur la culture populaire, dans
un art dérangeant qui cherche les limites de la représentation
Pop Art.
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En
1996 Libera crée
7 boîtes de jeu « LEGO Concentration Camp ».
Exposées au Musée juif de New York, elles laissent le
visiteur perplexe sur leur signification.
L’Holocauste est-il banalisé ? Laisserions-nous nos
enfants jouer aux méchants SS exterminant les Juifs ?
A-t-on affaire à une parodie de mauvais goût ou à une œuvre
beaucoup plus profonde ?
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La
firme a peu apprécié l’encart « Ce travail de
Zbigniew Libera a été sponsorisé par Lego ».
Souhaitant participer à une œuvre artistique, elle a
effectivement donné quelques seaux de briquettes sans connaître
le projet final. Elle a bien tenté de stopper la diffusion
de ces nouvelles boîtes mais l’avocat engagé par Libera
a manifestement été efficace.
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Toutes
les pièces sont prises de jeux Lego existants. Elles
pourraient aussi bien être assemblées pour créer autre
chose. Zbigniew
Libera dit que « les éléments pour de
nouvelles atrocités existent dans notre société et que
l'histoire elle-même se répète ». Il veut « démontrer ce
danger potentiel avec un innocent jeu d'enfant qui est
perverti pour se transformer en construction du Mal ».
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L’intérêt
pour moi est que cela nous choque encore, alors que dans une
boîte de cow-boys et d’indiens, la proposition de jouer
au génocide amérindien ne nous met plus mal à l’aise.
Libera veut nous questionner sur l’Holocauste déroulé en
grande partie dans son pays, rendre ce questionnement
toujours vivant. Il ne propose pas aux enfants d’y jouer,
il propose aux parents d’imaginer leurs enfants le faire.
Il nous propose, à nous qui avons joué aux Legos, de nous
projeter de façon nouvelle dans l’horreur nazie :
Quel rôle aurions-nous choisi ? Que ferons-nous la
prochaine fois ?
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Iconoclaste
Est-ce là la véritable définition de Zbigniew Libera ?

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En
2003, Libera poursuit son appropriation du langage Pop Art,
puisant cette fois-ci dans les objets photographiques de la
production de masse de la presse. Dans la série « Positives »,
il offre à voir des photographies qui sont la réinterprétation positive
d'icônes de l'actualité du XXe siècle. L'artiste poursuit ainsi son analyse
corrosive du pouvoir de l'image et des médias.
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Le
1er septembre 1939, des soldats allemands brisent
la barrière d’un poste frontière polonais, initiant
ainsi l’invasion de la Pologne par l’Allemagne et de
fait le début de la seconde guerre mondiale en Europe.
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Le
1er septembre 2003, les coureurs du 27ème
Tour d’Allemagne fêtent le contre-la-montre Gdynia-Danzig
en brisant symboliquement la mythique barrière de Sopot.
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Le
23 janvier 1942, les femmes de la ville de Kerch (Crimée) découvrent
les corps de leurs fils et maris assassinés par les troupes
nazies lors du massacre de Bagerovsky Ditch.
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Le
23 janvier 2003, les derniers arrivants du cross-country de
Kerch, soutenus par les membres de leur famille, récupèrent
de leur effort violent.
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Le
27 janvier 1945, les troupes soviétiques repoussant l’armée
allemande découvrent le camp d’Auschwitz.
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Le
27 janvier 2003, les résidents d’un village vacances sont
réveillés pour un brunch convivial.
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Le
9 octobre 1967, après avoir capturé puis exécuté le Che,
les militaires boliviens exposent son corps.
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Le
9 octobre 2003, après avoir couru plus de 48 heures, le
marathonien Ernesto Guevara gagne la Bolivia Cup.
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Le
4 avril 1968, Martin Luther King est assassiné sur le
balcon d'un motel à Tennessee.
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Le
4 avril 2003, des fans désignent le chanteur Ben Branch
qui, sur le toit d’un motel à Tennessee, interprète
« Take my hand, precious Lord ».
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Le
8 juin 1972, l'armée vietnamienne bombarde au napalm le
village de Trang Bang où se sont réfugiés des vieillards,
des femmes et des enfants.
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Le
8 juin 2003, le village de Trang Bang en collaboration avec
l’armée américaine, organise une journée de
parachutisme sportif au profit des militaires blessés et
des victimes innocentes de la guerre.
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Le
30 mai 1999, l’ELN (armée de libération nationale
colombienne) prend plus de cent otages dans l’église de
La Maria à Cali.
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Le
30 mai 2003, l’ELN entreprend gracieusement la réparation
de l’oléoduc de la compagnie Ecopetrol.
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Le
13 avril 2003, les troupes américaines prennent
possession de la ville de Bagdad.

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Le
13 avril 2003, l'hebdomadaire polonais Przekój
affiche en couverture "Le rêve de Bush" enfin réalisé. |
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Avec
« le rêve de Bush », Zbigniew Libera atteint
doublement l’objectif qu’il s’était donné :
Premièrement, il n’y a pas de décalage temporel entre le
moment où apparaissent ses fausses photos et le sujet
qu’elles traitent. La fiction a rejoint la réalité.
Deuxièmement, ses photos sont largement diffusées dans la
presse papier, ainsi que sur de larges panneaux informatifs
en Pologne. C’était le projet initial de Libera, que ses
photos « positives » supplantent les originales,
les vraies, qu’il nomme « négatives » et
prennent leur place dans les médias et du coup dans nos mémoires.
Libera
a dit :
la série des « positives » est une autre
tentative de lutter contre le traumatisme. Nous traitons
toujours les images mémorisées, et non l’objet de ces
images. Je voulais utiliser ce mécanisme de vision et de
souvenir pour aborder le phénomène de l’image
inconsciente. Nous percevons ces scènes inoffensives et
elles déclenchent le flashback des originaux brutaux. J'ai
choisi les «négatifs» parmi les images qui ont marqué
mon enfance, pour les amener dans un cycle positif.
Ces
photos de Libera m’ont touché parce qu’elles ont
d’abord puisé dans ma mémoire visuelle « Ah
oui, Auschwitz, le Che, la petite fille brûlée au
napalm… » puis dans un moment de trouble « mais
ils rigolent ??? ». Et comme dans une peinture
impressionniste où les couleurs complémentaires vont tour
à tour avancer puis reculer, l’image positive de Libera
laisse place à celle originale, avant de revenir à nos
yeux, de repartir...
Cette vibration mentale me plait beaucoup. L'image
historique ne disparait pas, les faits ne sont pas niés,
effacés, ils sont juste mis en miroir d'une autre réalité
possible, celle où les hommes réussiraient leur projet d'être
humains. Je suis souvent déprimé par ce que je vois, je me
dis "voilà, cela fait cinq siècles que l'on sait écrire,
cinq siècles de philosophie, pour en arriver là !".
La technologie avance à pas de plus en plus grands. Mais
nous, l'Humanité, progressons-nous ? Si on gratte un peu
sous la cendre, il y a ici ou là quelques preuves d'un
progrés humaniste, mais voilà qu'un nouveau flash info
nous cloue au pilori. J'aime les Positives de Zbigniew parce
qu'elles nous parlent d'un monde à portée de main. Vous
allez me vanner ? Vous allez ressortir votre blagounette sur
les Bisounours ? Allez vous faire foutre. Notre monde est
perfectible. Il faut s'en donner les moyens. On peut essayer
tous les jours d'être moins con que la veille et c'est
vrai, ne pas y arriver souvent, mais nos idéaux restent des
phares dans la tempête. Ce petit point lumineux à
l'horizon que l'on n'atteindra pas mais vers lequel nous
nous dirigerons d'une asymptotique marche.
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