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Mais je
vous le demande, fallait-il que toutes ces filles viennent au monde
?
Et une fois qu'elles sont nées, est-ce qu'il vaut la peine
de les élever ?
Aide-toi et le ciel t'aidera... comme s'il n'y
avait pas de précipices !
Oh oui, il valait bien mieux qu'elles ne
s'en tirent pas, qu'elles ne vivent pas un moment de plus. Ne te
fais pas plus bête que tu n'es, voisine ! C'est un grand et saint
apaisement que j'éprouve, moi Kadhoula, qui ai traversé tant d'épreuves,
lorsqu'il m'arrive de suivre le modeste cortège que conduit le
prêtre précédé de la croix, portant moi-même entre mes mains,
en femme compatissante et secourable, un petit cercueil en forme de
berceau.
Mon coeur s'illumine de joie quand la procession, au bout
de dix minutes de route, arrive au tombeau. Une campagne gracieuse,
un printemps éternel, un foisonnement d'herbes, de fleurs sauvages
- il monte alors une odeur de jardin. Voici le verger des morts.
Oh
! Le Paradis en ce monde même a ouvert ses portes pour recevoir la
petite créature innocente, qui a eu le bonheur de délivrer ses
parents de si lourdes angoisses. Réjouissez-vous, petits angelots,
qui volez alentour avec vos ailes dorées, et vous, âmes des
saints, accueillez-là parmi vous.
Le soir, quand
je regagne la maison mortuaire pour prendre part à
la cérémonie de consolation, de consolation je n'en trouve aucune, mais
je reste là, toute rayonnante de joie et je remercie le ciel à haute voix pour l'innocente
nouvelle-née et pour
ses parents. Et le chagrin est joie. Et la mort est vie et
résurrection.
Alexandre
Papadiamantis in "Les jeunes filles et la mort"
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